« Nous sommes des montreurs et des accompagnateurs de films » Marc Salafa.
©Carine Roth / Cinémathèque suisse.
CINÉMA. Pour le directeur des salles Cinemotion de Fribourg, Bulle et Payerne, le cinéma comme la culture doivent aborder tous les thèmes, aussi durs ou provoquants soient-ils. Entre révolte et optimisme, Marc Salafa milite pour continuer à faire vivre sous toutes ses formes ce geste culturel qui nous réunit tous en salle.
Le collage, c’est l’art de donner vie et sens à des images a priori indépendantes les unes des autres. Collez ensemble le mangeur de pierres de l’Histoire sans fin, une vache laitière et une fusée spatiale– à l’instar des collages de son épouse qui ornent son bureau- et vous obtenez le début du fil d’une discussion riche de plusieurs heures avec Marc Salafa, Directeur et exploitant des cinémas Cinemotion.
Un métier de saltimbanque.
Les Prado, Les Rex, Les Apollo. De Fribourg à Bulle en passant par Payerne, Marc Salafa représente l’une des dernières grandes familles d’exploitants de salles de cinéma en Suisse romande, arrivée à Fribourg en 1962, au Théâtre Livio.
« Je suis né dans un milieu culturel vif et animé qui osait la nouveauté et m’a toujours autorisé à m’interroger, raconte Marc Salafa. Les gens nous traitaient de saltimbanque lorsque mon père diffusait Emmanuelle en 1981. Pourtant notre métier est d’aider à faire réfléchir et à montrer ce que nous proposent les artistes. Le cinéma comme la culture nous obligent à enlever nos œillères et à remettre en cause les phénomènes préétablis. Le cinéma doit aborder tous les sujets, aussi durs et provocants soient-ils. »
Le politiquement correct, les réseaux sociaux, le manque de recul, les bonnes résolutions prises pendant le covid et sitôt oubliées, ça l’agace. « Je suis un idéaliste, s’amuse-t-il. Cela doit venir de ma mère gruérienne et de mon père français. »
Découvrir. Montrer. Accompagner.
Un exploitant n’est pas un « simple diffuseur de blockbusters ». « Nous sommes des montreurs de films, des découvreurs et des accompagnateurs » précise Marc Salafa. « Si je montre un film de droite, je projette un film de gauche, pour susciter le débat. Je dois aussi me demander comment garder le public et susciter l’intérêt. Nous sommes une industrie culturelle mais nous sommes aussi commerçants ; nous avons besoin de gros succès comme Presque de Bernard Campan qui nous font réfléchir, mais aussi de Fast & Furious, qui selon moi ne permet pas vraiment au monde d’avancer. »
Obsolescence et hologrammes.
Comme partout, le numérique est un enjeu majeur. Les salles Cinemotion, dont le slogan est « Vivez le vrai cinéma », doivent envisager de passer à la 3ème génération de projecteur numérique. Une évolution technologique à un rythme effréné qui « coûte un bras ».
Un ange passe, dans notre discussion-collage. « Ce qui me fascine, c’est l’émotion que nous sommes capable de vivre à 20 comme à 400, dans une salle éteinte, en attente de vivre ensemble quelque chose. Ce geste culturel fort, qui nous rassemble. » Et qui fait que c’est bien cela, le cinéma, le vrai.
Le coup de chapeau de Marc Salafa.
« À mon père, avec qui j’étais en symbiose et qui avait une telle soif culturelle. À Yves Moser, avec qui j’ai connu des comités mouvementés, et à sa fille Meryl, très engagée et qui prend des décisions courageuses. Mais aussi à tous mes collaborateurs, dont Liliane Studemann, Xavier Pattaroni et Salvatore Pizza, qui m’ont appris être plus ouverts et qui me suivent depuis tant d’années. »
Quelques dates
1962 : arrivée en Suisse, au Théâtre Livio, à Fribourg, repris par les parents.
1er avril 1979 : reprise des salles Le Capitole, le Rex et le Prado (Bulle)
1984 : Transformation du Rex en 3 salles.
1992 : Transformation du Prado en 2 salles
1997 : Création du Prado 3
2002 : Transformation de l’Apollo en 3 salles
Elsa Duperray, LA BOUCLE.
Portrait publié dans le magazine de cinéma suisse romand Avant Première, numéro de mai 2022.